La Rage - Chapitre 4
On s’approchait petit à petit de la gare Saint Lazare et plus on s’approchait, plus j’avais l’impression que mon T-Shirt allait rester collé à ma peau. Je suais terriblement.
Malgré le fait que j’avais ouvert grand la fenêtre, cela ne changeait rien à mon problème. Il me semblait que l’air à l’extérieur de la voiture, censé me refroidir, était chaud, et que celui-ci m’empêchait d’avoir une respiration normale. Cette respiration que j’essayais de maîtriser pour ne montrer aucune panique face à laquelle j’allais être confronté.
Bien évidemment, Baptiste n’arrêtait pas de me charrier avec elle. Pour lui, il était évident que mon comportement était juste celui d’un amoureux timide et embarrassé. Il me reprochait de ne pas être assez fonceur. Et moi, je n’arrêtais pas de lui répéter inlassablement que je n’éprouvais vraiment aucun sentiment pour elle, sans lui répondre qu’en fait cette meuf me faisait flipper.
La voilà ! Je reconnus sa svelte silhouette de loin. Il n’y en avait pas une comme elle. Impossible de me tromper même si je ne l’avais vu qu’une seule fois… La forme générale de son corps avait apparemment marqué mon esprit… Pourquoi ? Parce que j’avais été attiré par elle comme un oiseau par le son d’un appeau, ou la mouche par une fleur qui va la gober.
La petite voiture s’arrêta devant elle lorsque je prévins Baptiste que cette belle fille sous le lampadaire parisien n’était autre qu’Émir. Je le laissai sortir pour qu’il aille l’aider. Moi, je ne décollai pas mon cul du siège. Je n’avais aucune envie d’être en face à face avec elle. Ils mirent tous les bagages (qui étaient en fait peu nombreux) dans le coffre.
Baptiste me demanda si je ne voulais pas aller à l’arrière avec elle, en me prétextant qu’elle n’était pas à l’aise avec lui. Elle ne le connaissait pas. À l’intérieur de moi, je rigolai : « Moi aussi, je ne la connais pas ! » Il me chuchota aussi que ça serait un moyen de me rapprocher d’elle. Je lui répondis un seul mot: « Démarre. » Il n’insista donc pas plus. Il démarra et bientôt seule sa musique type pop permettait de supporter la lourdeur d’un grand silence.
Je me permis cependant un regard discret dans le rétroviseur. Elle était derrière mon siège. Sans doute dans un état de fatigue, elle avait son bras sur le rebord de la portière. Elle avait posé sa tête sur son bras. Il m’était impossible de voir son visage car sa longue et soyeuse chevelure formait un rideau qui le cachait.
Dix minutes passèrent, dix longues minutes contenant dix puissance cent de mes pensées, avant que l’on arrive enfin à la maison de mon pote. Elle était située dans la banlieue de Paris. On lui trouva rapidement une chambre. J’allais dormir dans celle de Baba (c’est le surnom que parfois je lui donnais) tandis qu’elle dormirait dans la chambre d’amie qui juxtaposait la nôtre.
Elle nous interrogea sur le dîner du soir. Et lorsqu’elle apprit que l’on n’avait mangé que des chips et bu des sodas, elle s’insurgea. Elle courut l’instant d’après à la découverte de la cuisine et du frigo. Puis elle se mit en tête de nous cuisiner un repas digne de ce nom. Baptiste, enthousiaste et gourmand, trouva l’idée excellente et moi, que cela n’était qu’une façon de perdre son temps.
Je fis mine de bâiller de manière purement indiscrète pour signifier que la fatigue m’ordonnait de gagner mon lit. Baptiste se moqua de moi, ne pouvant me croire : moi un insomniaque capable de le tenir éveillé jusqu’au matin. Tant qu’à Émir, elle ne semblait pas m’avoir entendu et me tendit une poignée de carotides à découper en morceaux.
Les carotides étaient de couleur orange, ou rouge quand on les chauffait. Leur nom viendrait, d’après mes connaissances, du mot « carotte ». Peut-être que personne ne se rappelle de ce qu’est une carotte. Mais si je ne me trompe pas, il s’agirait d’une racine. Car il y a de cela un siècle, il existait dans le monde encore pas mal de plantes produisant des légumes.
Maintenant, ces légumes sont des produits presque inexistants et la nature est un élément que l’on connait juste par une définition, c’est-à-dire des mots. Les carotides étaient en fait des produits purement industriels, une copie fallacieuse de ce qu’était une carotte. Une reconstitution grâce à des protéines créées en laboratoire à l’aide d’une imprimante moléculaire.
Les carotides avaient une texture bizarre quand on les coupait. De formes rectangulaires pour que l’on puisse facilement en faire des cubes, elles possédaient une texture gélatineuse.
J’avais terminé de tout découper et je tendis le bocal en verre qui les contenait à Émir. Elle le saisit avec précaution pour le transférer dans le sauteur. Le sauteur était bien pratique pour avoir des aliments à la texture croquante et moelleuse. Sans que je ne sache pourquoi, je trouvais attrayant de regarder les morceaux que j’avais précédemment découpés, sautiller dans tous les sens, affolés, sans trouver d’échappatoire à la cuisson.
« Si tu es fatigué, tu peux aller te reposer un peu si tu veux ». Émir était penchée devant moi de telle façon que si elle avait mis un décolleté, j’aurais eu une magnifique vue sur sa poitrine. Enfin bref… Il semblait que la méfiance que j’avais nourrie un temps par rapport à elle, était maintenant en disette. Elle me paraissait trop aimable. Elle avait donc fait attention à mes soi-disant bâillements de tout à l’heure.
Je relevai la tête et lui proposai d’un ton sympathique : « Je peux encore aider à quelque chose ? » Je vis quelque rougeur colorer ses joues brunes et elle m’indiqua la table à dresser. Dix minutes après, on était tous réunis autour de celle-ci et je fus le premier à me servir sans retenue dans les plats excellents préparés par Émir.
Baptiste me donna soudainement une violente tape dans le dos, ce qui réussit à me faire recracher mes spaghettis de façon très pathétique et dégoutante : « Nan mais quel goinfre ! On se demande bien pourquoi ! » Puis un sourire narquois se dessina sur ses lèvres: « Tu ne veux pas goûter plus délicieux ? » Ce con avait pris l’assiette carrée d’Émir pour remplacer la mienne. « Allez ! Mange ! »
Émir ne semblait pas trop savoir comment réagir vu qu’elle ne fit rien sur le moment pour chercher à récupérer son bien. Quand j’eus enfin terminé ce que j’avais en bouche, je lui sortis, désespéré, un truc du genre : « Nan mais quel gamin ! » et je lui rendis gentiment son assiette.
En réalité, qui était-elle ? Une fille étrange…
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